Réflexions sur le débat en cours à propos de l'imposition des riches

Le débat autour de la taxation des riches relance également la question des cotisations sociales payées par les patrons, aussi appellées cotisations patronales (ce qui me fait incidemment penser que, pour être riche, il faut être patron, et que, par conséquent, le salariat ne permet pas de devenir riche, mais ce n’est pas mon sujet).

Le principal argument des riches pour échapper à l’impôt est qu’ils financent notre économie via leurs investissements, donc ces derniers sont équivalents à un impôt, et il serait donc injuste de leur en faire payer effectivement un, peu importe son montant, qu’il soit, de 2 %, 10 %, en espèce sonnante et trébuchante ou sous la forme d’actions.

Si cela devait advenir, ils iraient voir ailleurs, afin d’y échapper.

En ce qui concerne les cotisations patronales, la forme de l’argumentation est différente, mais le fond est exactement le même. Selon eux, les entreprises créées des emplois, et cela justifie de ne pas les assommer de cotisations et autres taxes et impôts.

Si cela devait advenir, ils iraient voir ailleurs, afin de rester compétitifs par rapport aux autres (qui sont ces autres exactement, c’est difficile de le savoir, mais à priori, ils sont chinois, vietnamiens, indiens, bref, ils vivent dans des pays où le bien-être des travailleurs est loin d’être la préoccupation principale).

Cet argumentaire me chiffonne, et pas qu’un peu.

Tout d’abord, je ne connais aucune étude démontrant l’impact positif d’un investissement privé sur les finances publiques. D’ailleurs, si quelqu’un a défini de manière factuelle et objective le pourcentage moyen (voir médian) d’un investissement privé qui est venu contribuer à la richesse publique, je suis preneur (attention, je ne parle pas d’investissement dans des niches fiscales qui permettent d’obtenir un crédit d’impôt, parce que j’en vois venir, là, au fond).

À minima, mes impôts directs financent l’État. Enfin… disons plutôt qu’ils le devraient, mais, étant donné les cadeaux fiscaux aux entreprises faits par l’État, on en arrive au paradoxe qu’au lieu de financer l’État, la TVA sert en partie a subventionner le privé, sous couvert d’abaisser… les cotisations sociales, qu’elles soient salariées ou patronales, ou les impôts directs.

Ensuite, l’investisseur investi… quand il le veut, et du montant qu’il veut. Et je ne sais pas vous, mais moi, je dois payer mes impôts directs tous les ans, et je n’en choisis pas le montant.

De plus, ma motivation à payer l’impôt est le financement de services publics qui offrent facilités et protection à tous dans les domaines de la santé, de l’éducation, territoriaux et du transport, et par tous, j’entends moi, mes enfants, et tous les autres humains qui vivent en France.

L’investisseur, lui, investi… pour avoir un retour sur investissement, en clair, pour faire de la moula, parce que la moula attire la moula.

Il investit donc parce qu’il pense qu’en prenant ce risque, il augmentera sa richesse.

Parce que, même si je pense qu’il y a bien des altruistes parmi les investisseurs, je doute qu’ils soient majoritaires.

Parce que… si c’était le cas, le recours à l’optimisation fiscale, légale ou illégale, ainsi qu’au lobbying pour échapper à l’impôt, serait très certainement bien moins virulent et intense.

Dans mon monde, il n’y a pas de fumée sans feu, et qui se sent morveux se mouche.

Du coup, est-ce qu’un investissement est équivalent à un impôt ? Je ne le pense pas, et pour être honnête, j’ai plutôt le sentiment que recourir à cette équivalence revient à comparer un ventilateur avec une banane, et que du coup, ça ressemble fortement à un foutage de gueule.

L’autre chose qui me chiffonne dans ces comparaisons, c’est que ceux qui rechignent le plus à payer l’impôt sont ceux qui en ont le plus les moyens.

Je peux comprendre que quelqu’un qui vit en permanence sur le fil du rasoir financièrement parlant éprouve des difficultés à être serein par rapport à l’impôt.

Quand c’est difficile de joindre les deux bouts, quand il n’y a pas la monnaie pour le moindre plaisir, quand on doit faire des sacrifices, peu en importe les raisons, quand on pense ne pas avoir la marge financière pour absorber sereinement les aléas de la vie, devoir le payer peut être très mal vécu.

Par contre, que quelqu’un qui dispose largement des moyens financiers nécessaires pour vivre décemment, rester en bonne santé, pouvoir financer sans soucis des études, un achat immobilier, avoir à manger dans l’assiette trois fois par jour pour lui et sa famille fasse tout pour échapper à l’impôt, j’avoue que ça me dépasse.

Pour conclure, ce qui se discute ici, en creux, ce n’est pas l’imposition des riches ou des entreprises.

Ce qui se discute ici, ce sont deux visions différentes de notre modèle social.

Un camp souhaite être compétitif, veut faire de l’argent et le garder pour lui, si possible en avoir toujours plus et si possible plus que son homologue.

Et si j’étais cynique, je dirais qu’il veut garder la richesse qu’il génère uniquement à son profit tout en la maximisant, en exploitant en maximum l’État et une force de travail plutôt qu’en les soutenant raisonnablement, pour améliorer ses marges.

Pourquoi ? Parce que ses membres ou leurs familles ont travaillé dur pour accumuler ce capital, parce qu’ils ont sacrifié des choses pour y parvenir, parce qu’ils sont nés dans ce modèle, en fait, peu importe, ce qui importe, c’est qu’ils s’estiment légitime à ne pas payer d’impôt, et ça n’a rien de rationnel, puisque nous sommes dans le domaine de l’émotionnel, de la croyance, voir du conditionnement. La logique n'a donc aucune portée dans les débats.

L’autre camp, lui, souhaite mutualiser la richesse pour que le jour où la vie d’une personne part en vrille, à cause de la maladie, d’un conflit ou d’une catastrophe naturelle, cette dernière puisse continuer à vivre décemment.

Pourquoi ? Parce que ses membres n’ont pas le capital qui leurs permettraient au quotidien de se sentir en sécurité, bien, sans pression sociale ou mondiale, sans peur de l’avenir. Du coup, de leurs points de vue, il n’y a pas d’autre solution que de mutualiser le capital.

Et là encore, ça n’a rien de rationnel, puisque, tout comme dans le cas de l’autre camp, nous sommes là dans l’émotionnel, la croyance, voir le conditionnement. La logique n'a donc aucune portée dans les débats.

Bref, c’est le bon vieux clivage gauche/droite, induit par un capitalisme effréné, et nos politiques prennent un soin infini à l’entretenir en campant sur ces positions, en ajoutant de l’huile sur le feu par la caricature, par la dichotomie « méchant » contre « gentil », peu importe le camp auquel est attribué l’un de ses adjectifs.

Parce que, tant qu’il y a opposition, il y a statu quo, et que du coup, ceux qui profitent continuent à profiter.

Je ne sais pas pour qui je voterai en 2027. Ce qui est certain, c’est que je le ferai. Et j’aimerais le faire pour quelqu’un qui pense aux autres, et qui aura la force morale suffisante pour faire fi de ce clivage qui nous fait perdre à tous du temps.

Le temps, la seule chose qui ne peut s’acheter…